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Hôpitaux Plongée en unité COVID

Comment nos soignants ont-ils vécu cette crise, en première ligne? Deux membres d’une unité COVID partagent leur expérience. Rencontre avec le Dr Thierry Castelain, pneumologue à Mons et Léonie Vankeulen, infirmière à Nivelles.

Comment avez-vous vécu le début de crise?

TC : Vu ce qui se passait en Italie, nous avons tout de suite perçu la gravité de la situation lorsque les premiers patients sont arrivés avec fièvre, toux, scanners thoraciques épouvantables, grandes difficultés d’oxygène… Ensuite, le nombre de cas a augmenté très vite. Nous nous sommes réunis en urgence pour décider comment gérer ça.

" Très vite, l’action a pris le dessus sur le stress "

Léonie Vankeulen, infirmière dans le service de médecine interne de Nivelles, transformé en unité COVID.  

LV : Lors des premiers cas, nous étions très stressés… Mais très vite l’action a pris le dessus : il y avait beaucoup à faire pour transformer notre service en unité COVID et nous préparer à répondre au mieux à cette crise.

Comment vous êtes-vous organisés?   

TC : Chaque unité COVID travaillait avec deux binômes de médecins, accompagnés d’assistants. Un binôme travaillait 7J/7 en unité COVID et l’autre était en support, puis vice-versa. Cela assurait une présence médicale continue, sans nous épuiser.

LV : Au départ on a dû couper le service en 2 avec une bâche, pour séparer les derniers patients non COVID encore hospitalisés et les patients COVID qui arrivaient. C’était très fatigant car l’organisation changeait tous les jours, à mesure que de nouveaux patients arrivaient… Mais quand le service est devenu uniquement COVID, nous avons pu trouver une organisation stable, qui fonctionnait bien.  

Avez-vous été débordés?

TC : C’était ma grande crainte mais nous l’avons évité. Un soir, nous étions à 100% d’occupation et nous avons dû fermer les urgences. La région de Mons-Borinage a été touchée très tôt. Notre hôpital était débordé alors que d’autres étaient encore épargnés, ce qui nous a permis de transférer nos patients. Les soins intensifs quant à eux étaient à toujours à plus de 90 % de leur capacité et ils ont dû également transférer des patients.

LV : Dans notre service, on n’a jamais eu l’impression d’être en sous-effectifs. On a reçu beaucoup d’aide d’autres services qui avaient fermé ou avaient moins d’activités… On s’est vraiment senti soutenus par ces soignants qui venaient nous aider de bon cœur.

Au niveau médical, vous sentiez-vous impuissants?

TC : Contre un virus, on n’a malheureusement pas beaucoup de ressources médicamenteuses. C’est surtout la réaction du système immunitaire, la fameuse tempête cytokinique, qui tuait les patients. Celle-ci survenait à la fin de la première semaine, alors que les patients allaient mieux. Subitement, leur état se dégradait et il fallait les descendre aux soins intensifs, où ils étaient intubés très vite.

LV : C’était dur chaque matin de ne pas savoir dans quel état on allait retrouver nos patients. Certains se dégradaient très vite, sans raison. On se sentait impuissants dans ces cas-là. Mais heureusement beaucoup de personnes s’en sont sorties. Et ça nous redonnait le moral!

Aviez-vous assez de matériel de protection?

TC : Nous étions en flux tendu mais nous n’en avons pas manqué. Au début, on nous a demandé d’utiliser les masques avec parcimonie. C’était dur car cela ne nous permettait pas d’enlever le masque régulièrement, mais cela nous a permis de tenir.

LV : Oui depuis le début, nous avons reçu ce qu’il fallait. On ne s’est jamais sentis en danger. Par contre, c’était fatiguant de travailler avec ces protections.

Les visites étant interdites, les patients ne souffraient-ils pas d’isolement?

TC: Si c’était difficile. Il y avait des gens en grande détresse psychologique. La solitude était d’autant plus marquée que les soignants étaient munis de protection de la tête aux pieds et qu’ils ne pouvaient pas rester longtemps dans la chambre.

LV: Au début, c’était très difficile car les patients étaient stressés et on avait du mal à les rassurer, parce que nous étions nous-même inquiets et face à l’inconnu. Mais peu à peu, nous avons su mieux les rassurer et leur faire sentir que derrière les masques, nous étions là pour eux. Les familles nous téléphonaient et on essayait de leur passer un médecin pour qu’il fasse le point sur leur état. Ceux qui n’étaient pas trop mal pouvaient garder le contact via une tablette ou un smartphone mais c’était difficile quand ils n’étaient pas en état de parler. Les vidéos préenregistrées marchaient mieux.

Parmi les soignants, quel était l’état d’esprit?

TC : Dans mon unité, il y a toujours eu une ambiance familiale, avec de la solidarité et du respect. J’ai l’impression qu’un esprit de groupe s’est créé et que les soignants ne vont pas trop mal. Mais il y a eu des services plus durement touchés, comme les soins intensifs et les urgences. Personne n’en sort indemne. C’est avec le recul qu’on va réaliser tout ce qui s’est passé.

" Ce n’était pas évident mais on a tenu le coup parce que c’est notre métier. "

Dr Thierry Castelain, chef du service de pneumologie au CHR Mons-Hainaut, en charge d’une unité COVID réservée aux patients «jeunes» (20-75 ans).

LV : Malgré le stress et la fatigue, nous sommes restés soudés et avons essayé de travailler dans la bonne humeur. Ce n’était pas évident tous les jours mais on a tenu le coup, car c’est notre métier. Nous aussi avons reçu beaucoup de marques de soutien: nourriture, dessins, messages, banderoles… Ça faisait vraiment chaud au cœur!

Quelle vision pour l’avenir?

TC : Il est important de rester prudents car le virus circule encore!A long terme, il faudra tirer les leçons de cette crise et se préparer à faire face plus rapidement à d’autres épidémies!
LV : A ce stade, nous ne savons pas s’il y aura un deuxième vague ou pas, mais nous nous adapterons. Les patients peuvent compter sur nous!