Le Docteur Jean-Pierre SAEY est chirurgien au CHR Mons-Hainaut, au sein du service de Chirurgie Générale et Viscérale. En 2017, il a décidé d’intégrer l’ONG Médecins Sans Frontières afin d’apporter son soutien aux populations en difficulté. Il a depuis participé à deux missions, à Gaza et en République centrafricaine. A l’occasion de la journée mondiale de l’aide humanitaire, il partage son expérience.
Quand avez-vous pris la décision de vous impliquer dans la médecine humanitaire ?
J’ai toujours eu ce projet en tête, déjà depuis ma formation en chirurgie. Avec les projets familiaux et professionnels je n’avais pas le temps de me libérer pour partir en mission. En 2017, j’ai finalement eu l’opportunité de suivre des cours de chirurgie en milieu austère. Cette formation était indispensable avant de partir en mission. J’ai ensuite pu obtenir une première mission avec l’ONG Médecin Sans Frontières. Cette organisation internationale offre une assistance médicale d'urgence dans des cas comme les conflits armés, les catastrophes naturelles, les épidémies et les famines. J’ai la chance de travailler au CHR Mons-Hainaut avec une équipe formidable qui a pu me remplacer pendant les missions qui peuvent durer jusqu’à 6 semaines. Ma famille m’a également soutenu dans ce projet.
Dans quelle région avez-vous réalisé cette première mission de médecine humanitaire ?
C’était à Gaza, en Palestine, en 2018. La difficulté était de se retrouver dans une zone de guerre. Nous n’y sommes pas habitués. Bien que les bases de la chirurgie soient identiques partout dans le monde, j’ai beaucoup appris. En 2019, je suis parti en mission en République centrafricaine, pour fournir de l’aide à un hôpital de Bangassou. L’hôpital draine une population de près de 200.000 habitants, souvent défavorisés. C’est également une zone de combat où des factions s’affrontent. J’ai eu la chance d’y partir avec un confrère anesthésiste. On a formé une superbe équipe. Dans ce genre de situation on retrouve un sens de l’équipe véritablement profond, et on retrouve les bases essentielles de la chirurgie. J’ai mis mon expérience au service de ces missions. J’ai eu affaire à des personnes merveilleuses sur place. J’ai été très impressionné par le partage avec la population locale. Cette année, je devais partir au Yémen mais la mission a été reportée suite à l’épidémie de COVID-19.
Comment se passe l’encadrement sur place ?
Nous disposons de tout le matériel nécessaire mais les moyens techniques ne sont pas comparables avec ceux dont nous disposons en Belgique. Nous réalisons une chirurgie basique qui est absolument nécessaire à nos patients. L’aspect médical est la partie émergée de l’iceberg. Les équipes de MSF sont composées d’un ou deux médecins, de quelques infirmiers et le reste du personnel se consacre à la logistique. Les conditions peuvent être compliquées dans les hôpitaux sur place mais les procédures de prise en charge sont standardisées, et nous avons des guidelines très précis qui nous permettent de respecter les standards de base de la chirurgie. Et cela, que ce soit dans un hôpital sur place ou dans un hôpital de campagne sous tente. Par ailleurs, nous côtoyons des personnes d’origines très diverses. J’ai par exemple travaillé avec un chirurgien mexicain ou encore une infirmière nigériane. Cette multi culturalité est très enrichissante.
Vous êtes spécialisé en chirurgie digestive. Lors de ces missions, êtes-vous amenés à prendre en charge d’autres pathologies ?
Oui, tout à fait. Nous réalisons beaucoup de traumatologie classique, de chirurgie viscérale ou d’urgence, mais aussi de chirurgie de guerre, comme la prise en charge des blessures par balle ou par arme blanche. Nous nous occupons également d’opérations gynécologiques. Sur une période d’un mois, j’ai ainsi réalisé 32 césariennes. On ne compte pas ses heures de travail… Par ailleurs, dès qu’une équipe de MSF est présente dans un pays, la population qui est souvent précarisée, se rend à l’hôpital pour des pathologies souvent lourdes qu’on ne voit plus chez nous, comme d’énormes hernies inguinales. Un des principes de cette médecine humanitaire est aussi de permettre aux patients de réintégrer rapidement leur famille pour qu’ils puissent continuer à subvenir aux besoins de leurs proches.
Lorsque l’on est présent dans une zone de conflit, n’y a-t-il pas un risque de prendre parti ou de s’impliquer politiquement ?
Cela fait partie des serments que nous faisons quand nous partons en mission humanitaire. Nous devons rester neutres. Notre travail, c’est la chirurgie. C’est parfois difficile de, par exemple, réaliser un accouchement, et quelques minutes plus tard, prendre en charge un patient criblé de balles. Mais cela fait partie de notre mission. De manière générale, et cela vaut aussi pour notre métier en Belgique, nous sommes là pour soigner tout le monde, sans exception.
Cela représente-t-il une charge émotionnelle importante ?
Inévitablement, on s’implique émotionnellement. Néanmoins, j’ai la chance d’avoir 30 années de chirurgie derrière moi. Que ce soit ici ou là-bas, quand on doit opérer, on fait le job. Une fois que j’entre dans la salle d’opération, le reste n’a plus d’importance. Il y a aussi de très beaux moments avec, par exemple, des parents qui donnent votre prénom à des enfants qui viennent de naître. Ce sont des expériences très gratifiantes.
Ces missions sont-elles réservées aux médecins expérimentés ?
Non, elles peuvent évidemment être assurées par des jeunes médecins. C’est important de transmettre aux plus jeunes la technicité générale nécessaire pour affronter des situations extrêmes. J’arrive au terme de ma carrière, et je pense que l’idéal serait d’avoir des missions en duo entre un chirurgien plus expérimenté et un chirurgien plus jeune afin de partager son expérience et sa pratique.
Quel accueil vous réservent les populations locales ?
Médecins Sans Frontières apporte énormément aux populations en difficulté. Il n’y a pas que de la chirurgie mais également de la médecine, de la pédiatrie, de la gynécologie… Les gens réservent un très bon accueil aux équipes médicales. L’ONG n’est liée à aucun groupe politique ou financier, elle est totalement indépendante et donc très respectée.
Avez-vous une anecdote qui vous a particulièrement marqué ?
Oui, c’était à Gaza, j’étais en train d’opérer une jeune personne qui avait une jambe arrachée. Dans la salle d’à côté, j’ai entendu les cris d’un enfant qui venait de naître par césarienne. C’était très émouvant. Mais je n’ai pas pu m’empêcher de me demander si cet enfant qui venait de naître allait continuer à vivre… En 2019, en République centrafricaine, nous réalisions un tour de salle dans l’hôpital où il faisait une chaleur étouffante. Il y avait beaucoup d’enfants, parfois plâtrés ou suturés. Ils étaient tous souriants et reconnaissants. C’était extraordinaire.
Vous êtes-vous senti en danger lors de ces missions ?
Il y a toujours un risque. Des factions isolées peuvent voir l’opportunité de s’enrichir, de piller ou d’enlever des membres de l’équipe. Je me suis déjà senti en insécurité par moment, mais nous avons été préparés à ces situations au cas où elles surviendraient.
Dans quel état d’esprit rentre-t-on en Belgique ?
Nous sommes d’abord heureux de retrouver notre famille. On rentre différent. On en sort grandi, et pas du tout abîmé. Nous sommes bien préparés et suivis par MSF. Je continue à travailler en Belgique de la même manière, mais je prends peut-être plus de temps pour les patients.
Quelles sont vos motivations qui vous poussent à vous impliquer en médecine humanitaire ?
Mes motivations ont toujours été les mêmes, et j’y trouve quelque chose en plus d’un point de vue humain et aussi chirurgical. Ces projets avec Médecins Sans Frontières, c’est une nouvelle jeunesse de cœur, de pratique et aussi de partage.
Dr Jean-Pierre SAEY
"Nous sommes là pour soigner tout le monde, sans exception. Que ce soit ici ou là-bas, quand on doit opérer, on fait le job. Une fois que j’entre dans la salle d’opération, le reste n’a plus d’importance."
Dr Jean-Pierre SAEY
Service de Chirurgie Générale et Viscérale
Hôpitaux de Mons et Warquignies